Entrevue avec un pirate de la croissance

À travers les différents courants du marketing numérique, le growth hacking, ou piratage de la croissance a tranquillement fait sa place ces dernières années. S’il s’agissait au départ de techniques réservées aux startups et à quelques initiés ayant à la fois des connaissances en marketing et en programmation, les concepts derrière ce terme à la mode sont maintenant enseignés à l’université et font les choux gras de plusieurs équipes de ventes.

Nous pensions donc intéressant de vous en dresser le portrait et de vous fournir quelques pistes de départ à travers une entrevue avec notre collaborateur Max Trudel, expert sur le sujet.

 

Altitude Conseil (AC) : Premièrement, qu’est-ce que le piratage de la croissance?

 

Max Trudel (MT) : Bonne question! En fait, il s’agit de faire preuve de créativité et d’utiliser les outils numériques à notre portée pour accélérer la croissance de notre entreprise (nos ventes!) au-delà de ce que l’on aurait normalement pu planifier.

Le growth hacking se fait le plus souvent en détournant certains outils de leur utilisation « normale » ce qui en multiplie l’impact dans un contexte spécifique. Voilà d’ailleurs pourquoi on peut souvent s’inspirer de la vision derrière une technique de piratage à succès, mais non la répliquer exactement. Sortie de son contexte initial, elle n’aura souvent pas le même impact.

 

AC : Et est-ce que tout ça demeure légal? Disons que le terme pirate peut faire peur à certains…
 

MT : C’est toujours la première question que l’on se fait poser… La réponse simple est oui. Je connais peu d’entrepreneurs ou de growth hacker qui exploitent des techniques illégales. Ce serait trop dommageable pour l’entreprise s’il se faisaient prendre. Après, disons que l’on joue souvent sur la ligne des politiques d’utilisation de nos outils marketing. D’où le fait d’ailleurs que plusieurs tactiques se font rapidement bloquer.

 

AC : Si tout cela est légal, pourquoi vous faites-vous bloquer?
 

MT : Pour trois principales raisons. Premièrement, les outils utilisés constatant le rendement que l’on obtient et tentent de transformer nos outils en produits payants. Cela diminue souvent la flexibilité nécessaire pour générer de gros rendements et le retour sur investissement, le coût étant souvent élevé vu les succès précédemment observés. Bref, quand une technique fonctionne, il faut l’exploiter au maximum et rapidement.

Sinon, comme on détourne un peu l’utilisation de certains outils, il se peut que l’on demande trop de performance à ceux-ci, ce qui augmente leurs coûts. Ou que notre utilisation fasse même diminuer leurs profits.

 

AC : Justement, de quoi a-t-on principalement besoin pour se lancer en growth haking?
 

MT : Avant tout, d’une bonne dose de créativité. Et des objectifs clairs. C’est essentiel de savoir précisément ce que l’on cherche si on veut avoir du succès.

Mais aussi d’une connaissance poussée des outils marketing disponibles, de leurs possibilités. Finalement, vous devez avoir la latitude d’essayer plusieurs choses, car il vous faudra surement plusieurs tentatives avant de trouver l’idée qui génèrera la croissance souhaitée. Si vous la trouvez! Car il demeure qu’un certain facteur de chance est aussi essentiel. Il faut tenter la bonne tactique au bon moment.

Plusieurs disent qu’il faut une petite équipe dédiée, avec des talents en programmation, en design, en marketing et en rédaction. Je n’y crois pas vraiment… Un marketeur connaissant bien ses outils pourra certainement connaitre du succès par lui-même, et ses collègues pourront ensuite l’aider à raffiner sa technique par la suite. Si le tout est trop organisé au départ, on ne parle plus selon moi de piratage de la croissance, mais simplement de marketing de performance. Si l’outil utilisé est fait pour cela, il n’y a pas autant de mérite à être créatif. Mais bon, je suis peut-être de la vieille école là-dessus…

 

AC : Comment commencer s’il n’y a pas de formule précise? Quels sont les outils à utiliser?
 

MT : Disons qu’il y a des valeurs sures, car les objectifs se ressemblent. Les médias sociaux par exemple regorgent d’information sur vos clients potentiels et peuvent permettre de collecter le tout rapidement.

Les forums et autres endroits où il est possible pour un peu n’importe qui de publier une annonce ou un commentaire sont aussi de bons endroits pour collecter de l’information ou en diffuser.

Après, il s’agit de savoir mélanger vos différents outils pour en maximiser l’impact!

 

AC : As-tu quelques exemples de tout cela pour inspirer nos lecteurs?
 

MT : Des dizaines, mais disons que certains vont un peu trop loin… Mon préféré d’ailleurs a rapidement été déconnecté, car pour celui-ci, on ne s’entendait pas sur l’éthique de la chose. Mais nous avions exploité la fonctionnalité de LinkedIn présentant les dernières personnes ayant vu votre profil. Chaque fois qu’un visiteur arrivait sur notre site Web, il ouvrait aussi un profil LinkedIn, intégré à même le site. La fonctionnalité permettait donc de connaitre nos visiteurs, leur employeur et leurs coordonnées en temps réel. Pour une équipe de vente, il n’y a pas meilleur moyen de collecter des leads qualifiés! Mais comme les gens ne sont pas conscients que leur LinkedIn demeure connecté en permanence, on a décidé de laisser tomber rapidement. Les résultats étaient impressionnants!

Un autre client avait un enjeu de recrutement et souhaitait comprendre le profil des employés ayant joint ses rangs. On a donc créé un profil LinkedIn qui, avec un petit robot, ouvrait chaque profil des anciens employés l’un après l’autre et en copiait-collait l’information dans un fichier Excel. On a ensuite pu faire différentes analyses pour savoir où et qui on devrait recruter. L’important est ici que si LinkedIn interdit d’automatiser un scrapping ou ramassage massif de ses données, rien n’interdit de le faire manuellement, en ouvrant 100 000 pages l’une à la suite de l’autre. C’est plus de travail, mais ça demeure dans l’esprit de leurs politiques. De notre côté, il a quand même fallu laisser 3 ordinateurs ouverts pendant 2 semaines pour réaliser la tâche. Quand je dis que l’on joue sur la ligne, c’est un peu cela.

 

AC : Tu parles de robots et d’automatisation, il faut donc des connaissances assez techniques?
 

MT : Pas vraiment. Tout a déjà été fait, souvent dans la poursuite d’autres objectifs. Allez sur Google et cherchez une action précise et vous trouverez un outil ou un robot capable de l’exécuter. Le problème de bien des gens est qu’ils cherchent la recette toute préparée alors qu’il vous faut créer celle-ci. Trouver les ingrédients est beaucoup plus facile! Par exemple, ne cherchez pas « Comment obtenir les coordonnées de tous les directeurs des ventes en construction ». Vous trouverez uniquement des outils comme Zoominfo, qui sont très bons, mais coûtent assez cher.

Trouvez où se trouvent cette information (LinkedIn) et comment l’obtenir. Faites-le manuellement, et pour chaque clic, cherchez un outil pour s’en charger. Ça semble long, mais à terme, vous gagnerez un temps précieux!

Regardez aussi des outils comme http://phantombuster.com/, qui pourront vous inspirer sur ce qu’il est possible de faire facilement.

 

AC : Donc en somme, la clé est d’essayer, il n’y a pas de formule magique?

 

MT : Exact! Il faut demeurer à l’affut, constamment essayer de nouvelles techniques et rester centrer sur ses objectifs. Oui, certains exemples de piratages de la croissance comme ceux de Dropbox ou Airbnb font rêver, mais c’est en cherchant qu’ils ont réussi. Vos essais ne vous mèneront peut-être pas à ce genre de succès, mais vous réussirez surement au passage à améliorer vos performances marketing, ce qui est en soit un gain important. Et en gagnant de l’expérience, vous développerez de bons réflexes et multiplierez les succès. Patience!

 

AC : Je crois que ça éclairera pas mal de gens, et pour ceux qui voudraient en savoir plus?

 

MT : Ils peuvent bien entendu nous contacter! Mais sinon, le Web regorge d’exemples, et il reste quelques bons livres sur le sujet comme Viral Loop d’Adam Penenberg ou Hacking Growth de Sean Ellis. Le vrai truc demeure toutefois de se laisser le temps et la latitude de sortir de sa zone de confort!